Article paru initialement dans la revue Le Cardiologue (no. 440-442), reproduit avec l’aimable autorisation de sa rédaction.
Les recommandations pour la prévention cardiovasculaire (CV) proposent que l’évaluation du risque CV absolu en soit la première étape afin d’adapter la stratégie de prise en charge. Il est aussi supposé que l’information du patient sur son niveau de risque est nécessaire et doit lui faire prendre conscience de la nécessité et des objectifs d’une prise en charge adaptée. Est-ce si facile ?
CE QUE NOUS SAVONS
Perception du risque : entre raison et émotions
La pandémie de Covid-19 et la communication sur le rapport bénéfice-risque des vaccins l’ont illustré : la plupart des personnes ont des difficultés à comprendre rationnellement la
notion de risque, de facteurs de risque et d’exponentialité de ceux-ci.
Des études anthropologiques, psychologiques et sociologiques ont montré que la notion de risque est diversement comprise et appréciée par chacun et chacune. Ainsi, par exemple, le « coeur » vécu comme la « pompe vitale » et la « tension artérielle » vécue comme la garantie « que la mécanique fonctionne bien et que le sang est bien fluide » sont des notions à forte charge symbolique pour les patients et leur représentation de ces paramètres est différente de celle de médecins ayant une formation scientifique.
D’ailleurs, une part de l’inobservance au traitement de l’HTA serait due au fait, qu’après un certain temps, dans les périodes où les patients se sentent moins stressés, ils estiment que le traitement n’a plus d’utilité, la mécanique fonctionne bien à nouveau.
Pour comprendre les concepts attachés à la perception du risque, donnée fondamentale pour envisager un dialogue avec un patient, la lecture du livre de Michel Setbon s’impose : Face au risque sanitaire. Perceptions, émotions, décisions (Elsevier Masson, 2021) dont quelques éléments rapportés ici sont issus. Une phrase clé de son livre est « La connaissance n’efface pas la croyance, tout comme la raison ne supprime pas les émotions » complétée de « Si les connaissances cohabitent avec les croyances… elles sont souvent utilisées de façon sélective pour renforcer les croyances ».
De quelques exemples
Lorsqu’il a été demandé d’évaluer quel est le risque le plus élevé qu’une personne puisse encourir face à trente technologies différentes, des experts ont placé en première position
le risque lié aux véhicules à moteur et en vingtième position le risque nucléaire alors que ce dernier a été placé en première position par plusieurs groupes sociaux non experts.
Lorsqu’on demande à des personnes parmi plusieurs types de risque, quels sont les niveaux perçus pour soi-même, pour sa famille ou pour les autres, plus le risque est lié à des comportements individuels (sida, alcool, addiction, habitudes alimentaires…), plus la probabilité qu’un individu se perçoive comme pouvant être touché par ce risque est faible, alors qu’il juge que les membres de sa famille y sont plus exposés que lui et que les autres y sont encore plus exposés que lui-même et sa famille. Inversement, plus le risque est perçu comme en rapport avec des facteurs externes (accident du trafic, pollution, effet de serre…), plus la personne estime que son risque est élevé et est alors jugé proche de celui encouru par sa famille et les autres.
Ce type d’expérience a permis de conclure qu’un non-expert analyse le risque de façon plus qualitative ou émotionnelle que quantitative ou rationnelle, c’est-à-dire quantifié par l’expertise. L’exemple relatif à la perception du risque nucléaire illustre le fait que le caractère effrayant d’un risque – même s’il est rare – contribue à le placer en première position des craintes, ce d’autant plus qu’il paraît externe à ses comportements. Un autre type de risque est aussi perçu comme important, le risque nouveau du fait de son caractère inconnu, comme les émergences épidémiques. Et ce, notamment face à des risques très prévalents, classiques et finalement banalisés.
Cette façon de percevoir le risque d’être atteint par une maladie à forte prévalence de façon inférieure à la probabilité évaluée par des experts est nommée biais d’optimisme. Il résulte du phénomène de construction de l’estime de soi : le fait de se considérer comme meilleur ou moins vulnérable que les autres est une ressource motivationnelle importante dans la prise d’initiative et la participation sociale.
L’approche scientifique
Le médecin a appris à distinguer diverses notions associées au concept de risque : facteurs de risque, risque absolu, risque relatif, incidence, prévalence, amplification du risque… Il aborde le risque avec des termes et des notions différentes de celle d’un patient ayant une culture scientifique profane. Comment en pratique communiquer avec un patient sur la notion de risque CV, notamment en prévention primaire ? Comment lui faire comprendre la notion de risque absolu ?
Prenons l’exemple d’un calcul qui donnerait un risque absolu d’infarctus du myocarde (IDM) de 8 % à 10 ans. La méthode objective pour expliquer cette notion est de dire « si l’on prend
100 personnes qui ont toutes les mêmes caractéristiques que vous-même, âge, pression artérielle, cholestérol… dans les 10 ans, 8 feront un IDM ». C’est rationnel, mais est-ce suffisant
? Comment le patient interprète-t-il cela ? Va-t-il juger que ce niveau de risque est important ou qu’il est logique compte tenu de son âge ? S’il juge qu’il est important, va-t-il juger que cela vaut la peine de modifier son comportement afin de réduire ce risque ? « Oui, j’ai un certain risque, mais ne pas arrêter de fumer est plus avantageux car cela calme ma nervosité qui est un problème plus important et actuel, et cela contribue à une bonne estime de moi car je ressemble à mes héros de cinéma et j’entretiens le lien avec mes amis. »
Alors comment faire ?
Ce qu’il faut éviter de faire
Les recommandations pour la prise en charge des facteurs de risque CV proposent d’informer le patient sur son niveau de risque CV absolu, mais ne disent pas comment faire. Surtout, elles ne disent pas comment cela peut entraîner une adhésion du patient à une modification de ses habitudes afin de diminuer ce risque.
On ne convainc les gens qu’avec leurs arguments
Quel est l’objectif d’informer un patient sur son risque CV ? Ce n’est pas de montrer que l’on possède une science prédictive, mais de faire prendre conscience à une personne que son risque CV est plus élevé que l’optimal pour son âge et que, si elle veut le diminuer, elle peut et doit agir.
Dans cette problématique, il convient de passer outre l’interrogation philosophique sur le fait de savoir si l’on doit promouvoir une action de santé et donc sur la valeur d’une approche altruiste et collective. La question pratique est : l’information étant une première étape, quel est ou quels sont les meilleurs moyens pour inciter à l’action et notamment dans la présentation de l’information ? Aucun moyen n’est parfait, tous sont perfectibles.
Dès lors qu’il y a risque, on pourrait penser utiliser soit l’émotion – et donc la peur –, soit la raison – et donc l’objectivité. Or, d’une part, les spécialistes de la communication ont régulièrement constaté que l’un des principaux obstacles à la mobilisation est une communication trop orientée sur la peur et, d’autre part, la connaissance n’empêche pas les croyances.
Dans son ouvrage de référence Psychologie sociale, Serge Moscovici débutait le chapitre « De la science au sens commun » par des questions qui doivent faire réfléchir sur la pratique médicale : « Comment les gens pensent-ils ? », « Comment les gens comprennent-ils leur monde ? » et « Comment utilisent-ils l’information véhiculée par la science ou l’expérience commune ? ». Plusieurs théories ont été élaborées pour répondre à ces questions et l’une se détache actuellement en matière de validation de ces concepts.
Ainsi, les données de la psychologie sociale indiquent que l’on aide les gens en montrant qu’il existe des solutions peu contraignantes qui leur paraissent socialement valorisantes et que le langage adopté doit respecter les éléments d’estime de soi sur lesquels s’est construite la personne à qui l’on parle. Dans cette estime de soi, le regard que cette personne porte sur elle-même est essentiellement lié au regard qu’elle pense que les autres ont sur elle.
Une première étape est donc de prendre le temps de comprendre les valeurs et références du patient afin de les reformuler pour lui montrer en quoi elles sont compatibles avec ce que l’on va lui proposer pour diminuer son risque cardiovasculaire.
En ce sens, certaines méthodes d’information sur le risque CV paraissent mal adaptées au partage d’une information susceptible d’induire une action.
Une méthode à oublier, une autre à relativiser
Depuis quelques années, il est proposé d’informer une personne sur son risque CV en lui donnant l’âge supposé de ses artères en fonction de ses facteurs de risque. La méthode consiste à utiliser un logiciel permettant, en intégrant les facteurs de risque CV, de dire à une personne « vous avez 50 ans, mais compte tenu de votre tabagisme, de votre hypertension artérielle, etc., vous avez les artères d’une personne de 70 ans ». Si cela paraît scientifique, c'est certainement contre-productif : peut-on penser que cela va l’inciter à modifier son mode de vie ? Ou bien plutôt, que cela va l’inquiéter et renforcer son addiction au tabac, notamment en lui faisant penser que « foutu pour foutu… » ?
Ainsi, parler de l’âge des artères expose à un obstacle symbolique : une personne aura du mal à envisager que son âge, même s’il s’agit de celui de ses artères, puisse diminuer. Dès lors, les moyens d’action ensuite proposés ne seront probablement plus écoutés et entendus. De même, parler de risque absolu à un patient qui a une science profane est assez complexe, car cela suppose de sa part une appréciation sur l’ampleur de ce risque : ainsi, est-ce que lorsqu’il en est informé, un patient juge qu’un risque CV absolu de 8 % à 10 ans est élevé, normal ou faible et justifie donc de mesures correctives ? Alors comment faire ?
CE QUE NOUS FERONS
Tenter d’induire une action correctrice
L’objectif d’informer le patient sur son niveau de risque CV est d’inciter le patient à modifier son mode de vie et éventuellement à prendre des traitements pour diminuer son risque CV. La formulation de l’information doit prendre en compte cet objectif. Et afin de gagner en efficacité, le mode de délivrance de l’information doit prendre en compte en particulier le mode de construction de l’estime de soi d’une personne et le fait qu’elle se construit selon l’idée qu’elle se fait du regard des autres sur elle-même.
Pour inciter à passer à l’action, quelques méthodes peuvent être utilisées pour présenter l’information : le risque relatif, des analogies qui parlent au sens commun et des formulations socialement valorisantes.
Utiliser le risque relatif
Il semble plus approprié d’utiliser la notion de risque relatif plutôt que celle de risque absolu.
Pour une personne donnée, essentiellement âgée de moins de 80 voire 85 ans, cela consiste à évaluer le risque absolu minimal pour l’âge, c’est-à-dire le risque idéal. Puis à évaluer le risque absolu de la personne en fonction de ses facteurs de risque et enfin à évaluer l’excès relatif de risque entre le risque idéal et le risque calculé. Ainsi, on peut indiquer à la personne que, par rapport au risque idéal pour son âge, son risque d’infarctus ou d’AVC est augmenté de x % (en valeur relative).
Il est alors préférable d’utiliser un logiciel ou un tableau (tels ceux des grilles de risque SCORE2 et SCORE2-OP développés par la Société européenne de cardiologie et disponibles en ligne) qui permet de faire varier le risque absolu et relatif en modifiant divers facteurs de risque. L’avantage est de montrer les bénéfices potentiels d’un passage à l’action : en pratique la variation du risque lorsque l’on fait varier la valeur de la pression artérielle, du cholestérol ou selon que l’on indique fumeur ou non-fumeur.
Ainsi, on peut montrer que si le tabac est arrêté, l’excès de risque diminue de y %, si la pression artérielle systolique devient, par l’effet d’un traitement, inférieure en moyenne à 140 mmHg, l’excès de risque diminue de w % et si le cholestérol est abaissé en dessous de n g/l, l’excès de risque est abaissé de z %, et ce jusqu’à avoir obtenu le risque CV absolu le plus proche du risque absolu idéal pour l’âge, c’est-à-dire jusqu’à avoir gommé l’excès relatif de risque. Le message implicite est ainsi : la mauvaise nouvelle est qu’il y a excès de risque, la bonne nouvelle est que l’on peut corriger cet excès de risque.
Utiliser des analogies
En complément, il est utile d’avoir recours à une, voire diverses analogies en prise avec le sens commun, comme, par exemple, l’analogie du risque d’accident lorsqu’on conduit une voiture en ville. Ainsi, il peut être souligné que, si tout va bien par ailleurs, il est évident que plus on roule vite en ville plus on risque d’avoir un accident : un seul facteur à l’excès peut suffire à causer un accident.
Mais on peut aussi faire prendre conscience que l’on peut rouler modérément vite et avoir un plus grand risque d’accident que si l’on roule très vite, et cela parce que l’on est légèrement fatigué, parce que l’alcoolémie est légèrement élevée (2 à 3 bières), parce que les pneus sont légèrement lisses, parce que la chaussée est légèrement glissante, parce que… Le message implicite est le suivant : le risque d’accident peut être plus élevé avec plusieurs éléments peu critiques qu’avec un seul élément très critique.
Cette analogie permet aussi de répondre à une interrogation « Docteur, ce traitement et ce régime, est-ce que c’est pour toujours ? » en ajoutant « si vous rouliez à 80 km/h sur une route un peu verglacée, et que pour diminuer votre risque d’accident, vous décidez de rouler à 40 km/h, pensez-vous qu’après un certain temps, sur cette même route, il redevient possible de rouler de nouveau à 80 km/h ? ».
Utiliser des formulations socialement valorisantes
Enfin, il est utile de montrer que les conduites proposées sont socialement valorisantes en utilisant certaines formulations plutôt que d’autres. Plutôt que de dire « vous devriez ou vous devez arrêter de fumer », il est démontré qu’il est plus efficace d’utiliser des formules du type « les personnes qui veulent rester le plus longtemps en bonne santé arrêtent de fumer », « dans le temps, tout le monde fumait, maintenant on sait que pour être bien en société et pour sa santé et celle de ses proches, il est préférable de ne pas fumer »…
Conclusion
Aucune méthode n’est idéale pour faire comprendre la notion de risque à une personne donnée dans l’objectif de l’inciter à l’action et, dans le temps d’une consultation, il est difficile de comprendre les ressorts psychologiques de son patient et d’envisager quelle sera la méthode la plus adaptée.
Communiquer sur le risque absolu n’a d’intérêt que si celui-ci peut être modifié, d’où le choix de communiquer sur l’augmentation du risque relatif induit par des facteurs de risque modifiables.
*Dr François Diévart / Cardiologue, Dunkerque
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Bibliographie
- Setbon M. Face au risque sanitaire. Perceptions, émotions, décisions. Elsevier Masson, 2021.
- Moscovici S. (sous la direction de), Ouvrage collectif. Psychologie sociale. PUF, 2014. Diévart F. Comment faire comprendre à son patient que son risque cardiovasculaire est élevé. Le Cardiologue, 2021. Partie 1. Les Problèmes no. 440 p13. Partie 2. Ce qu'il faut éviter de faire. no. 441 p13. Partie 3. Tenter d'induire une action correctrice. no. 442. p13.